
LA FLECHE DU TEMPS
et le principe de causalité
Nous vieillissons tous indépendamment de nos actions. Une goutte d’eau qui tombe à la surface d’un verre d’eau se répartit uniformément dans le liquide et ne se reformera jamais à l’identique. Un verre qui tombe et se brise ne se reconstituera pas seul. Vous consentirez que ces phénomènes physiques sont irréversibles. Et bien, en comprenant ce fait, vous aurez compris la majorité de l’essence de la flèche du temps. Cependant, vous ne devez pas confondre, la physique oblige à distinguer deux sortes d’irréversibilités :
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L’irréversibilité du temps, ou principe de causalité
Nous ne pouvons pas passer deux fois par le même instant. Le temps a un écoulement irréversible et tout instant présent qui se présente est un instant de même statut inédit.
Concrètement, la causalité est la contrainte qui impose en physique newtonienne que le temps est linéaire. Graphiquement, ce principe de causalité se matérialise par une courbe qui ne se recoupera jamais, qui ne repasse pas deux fois par le même point. Je vais peut-être anéantir en vous un rêve d’enfance mais il est strictement impossible de retourner dans le passé. Il est impossible de modifier le passé. Ce qui a eu lieu a eu lieu. Nous ne pourrons jamais rencontrer les dinosaures ou partir à la chasse aux mammouths. Je vous laisse découvrir la nuance de cette interdiction physique avec la partie dédiée au voyage dans le temps.
"On ne peut penser ou utiliser l’intelligence du monde sans la causalité" Kant
On remarque que chacun va employer des arguments différents pour l’expression du principe de causalité en tant que contrainte plus ou moins singulière dans sa théorie physique.
//En relativité restreinte, la causalité est impliquée par les transformations de Lorentz, ou postulat de l’invariance de l’univers :
Cependant, cette signification de la causalité dans la relativité restreinte est fragile puisqu’elle s’exprime sous la forme d’une interdiction, et cette interdiction peut être violée à tout moment par la découverte d’une particule plus rapide.
//De son côté, en 1928, le physicien et platonicien Paul Dirac va marier physique quantique et relativité restreinte dans son équation qui objective de garantir l’impossibilité de rétroagir sur les évènements. Je ne vais pas détailler cette expérience, mais retenez que le temps a donné naissance à la découverte de l’antimatière, manifestation du principe de causalité. C’est un résultat capital et indéniable qui exprime la causalité non sous la forme d’une interdiction comme pour la relativité restreinte mais de façon positive.
Notre squelette émet des particules d’antimatières : 4000 antineutrinos par seconde pour un homme. De ce fait, nous émettons plusieurs milliers de fois par seconde la preuve même de l’impossibilité des voyages dans le temps. Ainsi, le temps physique est premier par rapport aux autres temps car si la causalité existe, les antiparticules existent.
//La façon moderne d’exprimer aujourd’hui la causalité est l’invariance CPT : c’est l’expression la plus formalisée de la causalité. Cette symétrie particulière doit être respectée par tous les phénomènes physiques. Si nous filmons un processus physique quelconque : par exemple un proton qui vient de la gauche avec un spin positif (mouvement de rotation d’une particule).
Ce film va subir 3 opérations, on peut exécuter les deux premières dans l’ordre que l’on souhaite :
1) opération « Conjugaison de charges » : on maquille le film de sorte que chaque particule qui apparaît est maquillée en son antiparticule et réciproquement. On inverse les charges.
2) opération « Parité », dite symétrie miroir : on inverse la gauche et la droite, on renverse simplement le phénomène. On inverse l'espace.
3) opération « Temps » : on change le cours du temps. Cela ne signifie pas que l’on revient de l’avenir vers le passé mais que le phénomène va se dérouler normalement mais à l’envers. On inverse le phénomène.
Ce n’est pas le même univers mais il obéit aux mêmes lois dynamiques. Dans le cadre standard, cette invariance CPT s’applique sans problème. A l’exception d’une particule : le Kaon neutre. Après de multiples expériences réalisées avec ce Kaon, on a pu remarquer que la double transformation CP ne respectait pas la symétrie CPT : pour que le principe fonctionne, il faut que T compense. Or si T doit compenser, cela veut dire que T doit aussi violer ce système et par conséquent que T n’est plus symétrique. Suite à l'expérience troublante de 1964, des chercheurs ont longtemps étudié cette particule et ont remarqué que, quand le Kaon se déplaçait et se transformait en anti-kaon et inversement, le passage de Kaon à anti-Kaon s’exécutait légèrement plus lentement que le passage d’anti-kaon à Kaon.
Il y a donc bien T qui n’est pas symétrique et qui compense l’asymétrie qu’il y avait entre C et P. Donc le principe d’invariance CPT est bien respecté, mais nous avons là une expérience qui montre non seulement que T n’est pas symétrique, mais aussi qu’à un instant donné, il y a plus de Kaon neutres que d’anti-kaon neutres. A priori, cette asymétrie remarquée avec les Kaon neutres (et peut être aussi avec d’autres particules) suffit à expliquer la matière présente dans l’univers et le fait que les lois qui régissent la matière favorisent la présence d’une flèche du temps. En outre, le temps s’adapte, ce qui justifie qu’il existe et a un sens. Mais cette hypothèse reste encore maintenant pour les plus grands scientifiques une grande incertitude.
2. Irréversibilité des phénomènes, ou flèche du temps (d'apres Eddington).
Rappelez-vous, le principe de causalité l’interdit. Dire qu’une équation est réversible signifie seulement que le temps soit inverse ou non, les lois physiques restent inchangées. Mais nous ne le constaterons jamais car il est bel et bien interdit de changer le cours du temps.
J’ai estimé important de souligner cette différence car cette confusion est bien trop souvent commise et a été à l’origine du suicide de Boltzmann en 1905, quand les anti-atomistes l’avaient croulé sous les critiques à tort. Selon lui, la flèche du temps n’existe pas à l’échelle microscopique : tous les phénomènes sont réversibles. Ils peuvent se produire dans les deux sens, mais ne peuvent pas remonter le cours du temps.
Aussi, vous savez que temps s’écoule dans un même sens : du passé vers l’avenir. On appelle cela le cours du temps. Mais quelle est sa représentation ?
Newton paramètre la courbe du temps à une dimension. Mais à partir du moment où nous disons que le temps n’a qu’une dimension, il est soit linéaire soit cyclique. En vertus du principe de causalité, il ne peut pas être cyclique (qui plus est, cette représentation ne fait pas la distinction entre le passé et le futur).
Anecdote : Ce temps cyclique fait partie de certaines religions, philosophies : les gens ont du mal à accepter que d’un simple point de vue logique, l’idée même d’un éternel retour est impossible, absurde. Si nous vivions un éternel retour, quand nous entamons le deuxième cycle : soit nous avons la mémoire du premier cycle et ne sommes pas dans la même situation que la dernière fois (on constate que c’est une répétition) ou soit il y a un reset du premier cycle, nous repartons comme si c’était la première fois, et dans ce cas nous ne savons pas que c’est un retour. Il est impossible de vivre deux fois la même expérience en étant conscient de vivre deux fois cette même expérience.

Si le temps n’est plus le même partout, comment peut-on dire qu’un évènement est une conséquence de l’autre ? Il faut alors ordonner le temps. Ainsi, on explique le principe de causalité par une vitesse limite pour les particules dans le vide appelée vitesse de la lumière :
Aucune information, aucune énergie ne peut voyager plus vite que la lumière dans le vide, auquel cas elle sortirait du cône de lumière visible, ce qui est de nos jours inimaginable.

Une fois que ces 3 opérations ont été effectuées, on projette à nouveau le film : l’écran diffuse quelque chose de différent que ce qui a été filmé. Si nous avons filmé un proton qui vient de la gauche avec un spin + (mouvement de rotation d'une particule), nous verrons un antiproton qui vient de la droite avec un spin +. Mais dès lors, l’invariance CPT dit que ce nouveau phénomène visible à l’écran est décrit par les même lois physiques que le précédent et lui est symétrique.




Accrochez-vous : la flèche du temps n’est pas une propriété du temps. C’est une propriété qu’ont ou n’ont pas les phénomènes temporels. Quand la flèche du temps est de rigueur, un système physique ne pourra pas retrouver dans son futur un état physique qu’il a connu dans son passé.
Cette flèche du temps n’est jamais signifiée dans les équations physiques. En effet, le problème est qu’elles sont toutes réversibles en temps : si vous changez t en -t, la dynamique n’est pas altérée.
Comment se fait-il alors qu’il y ait des phénomènes irréversibles qui contredisent les lois physiques ?
Etienne Klein propose une expérience simple : filmez vos vacances et passez le film à l’envers. Vous constatez immédiatement que le film est à l’envers. Mais les équations physiques nous disent que l’inverse temporel d’un phénomène physique est aussi un phénomène physique : pourquoi ne le voit-on jamais ? Tout simplement car il ne faut pas confondre irréversibilité du temps et irréversibilité des phénomènes. Dire qu’une équation physique est réversible ne revient pas à dire que nous pouvons parcourir le temps en sens inverse ;

Par défaut, le temps est donc linéaire chez Newton : la cause est chronologiquement protégée des effets de l’effet. L’effet ne peut pas rétroagir sur le propre temps. On peut représenter la courbe du temps par n’importe quelle courbe qui ne repasse pas deux fois par le même point. Le temps linéaire n’est pas obligatoirement une ligne droite, le temps d’ailleurs n’est pas forcément régulier :
Dans la relativité générale, le temps ne s’écoule pas de la même manière si vous êtes soumis à une force gravitationnelle plus ou moins grande. Cependant, une petite flèche est toujours présente sur cette courbe : nous ne pouvons pas rester en place et ne pouvons pas passer deux fois par le même instant.
J’aimerai finir l’explication de cette notion par une métaphore proposée par Etienne Klein. Le temps est une prison à roulette. D’une part, prison car nous sommes bloqués dans l’instant présent et ne pouvons pas modifier notre position dans le temps. A cause du principe de causalité, nous sommes prisonniers du temps. D’autre part, à roulette car il avance et suit son cours.
Mais qu’est-ce qui pousse cette prison ? Quel est le moteur du temps ?
